CHARLES CORNIC CORSAIRE
Résidant à l'Isle de 1766 à 1792

 

(d’après les récits d’Olivier Coussillan : « Histoire de l’Isle Saint-Georges »
et de
Daniel Appriou «guide sur Morlaix : l'histoire au coin de la rue »)

 

 

Charles Cornic, appelé ensuite Cornic-Duchêne, est né à Morlaix (Finistère) le 5 septembre 1731. Il était le fis de « noble homme Mathurin Cornic et de Marthe Ramon son épouse ».

En 1731, les habitants nourrissent une haine féroce envers les Anglais, adversaires redoutables pour leur commerce. Élevé dans une famille de marins, dans la même haine de l'Angleterre, le jeune Cornic embarque comme mousse (il n'a pas encore huit ans) et déjà parcourt les océans sur les navires de son père jusqu'en Irlande, Espagne, Saint-Domingue, Terre-Neuve...

Si bien qu'à vingt ans, après avoir parcouru le monde et appris à capturer les navires anglais, il acquiert une réputation de corsaire qui vient aux oreilles du ministre de la marine. 

Il méritait d'entrer dans le corps des officiers de la Marine Royale, « La Royale », mais à cette époque de privilèges réservés à la noblesse, il ne pouvait faire partie du Grand Corps, mais seulement des « Officiers Bleus », roturiers de mérite. Il n'obtint donc qu'un grade de « pilotin surnuméraire ».

Le ministre de la Marine lui donne alors une corvette de six canons, l'«Agathe». Ses nombreux succès sur l'ennemi le rendent célèbre ; le roi lui octroie une pension de cinq cents livres... mais pas de grade.

L'Agathe qui a pris le nom de La Fantaisie, escorte 26 convois de navires marchands à travers la marine anglaise, capture un bateau de guerre et trois bâtiments de commerce anglais. En récompense le roi Louis XV le nomme en 1757 lieutenant de frégate. L'année après, à bord de la corvette La Cigogne armée de 12 canons seulement, il réussit à échapper à trois frégates anglaises. 

Enfin on lui donne le commandement d'un vaisseau important et digne de ses mérites : la frégate La Félicité de 30 canons et de 210 hommes d'équipage. Les frégates sont des vaisseaux moyennement armés, mais rapides, manœuvriers et tenant bien la mer, elles sont redoutables.

On peut avoir une idée de la Félicité en regardant la maquette suspendue dans la nef principale de l'église de l'Isle St Georges.

A bord de la "Félicité", il s'empare de nombreuses frégates anglaises, puis, sur le «Protée», vaisseau du roi de soixante-quatre canons, il capture en moins d'un mois cinq vaisseaux de la Compagnie des Indes. Le butin est énorme, mais Cornic ne garde rien pour lui. Ces succès lui attirent la jalousie et la rancoeur des officiers nobles du Grand Corps. Sept d'entre eux l'attendent un jour sur une grève et, à un contre sept, le combat s'engage. Cornic blesse les six premiers ; le septième hésite, il ne veut pas se battre sans témoins. Alors le corsaire répond en montrant les six blessés : «Ces messieurs vous en serviront», et il le met hors de combat. Cornic devient rapidement l'idole de Brest, mais la haine des jaloux demeure. Si grande qu'on doit lui attribuer une garde personnelle.

L'exploit qui valut sa grande renommée à Charles Cornic se déroula en 1757, pendant la Guerre de Sept Ans (1755- 1763), contre les Anglais.

Le 21 juin il sort de la rade de Brest pour surveiller la flotte ennemie au large d'Ouessant, dans la mer d'Iroise. Mais le 23, un calme plat s'établit, et il ne peut naviguer qu'à l'aide de grands avirons et des canots de remorquage qu'il a mis à la mer.

Dans cette situation critique voilà que portés par le vent qui fraîchit, surgissent trois navires anglais, le Rumbler, corvette de 20 canons, la Tamise, frégate de 36 canons, et l'Alcide, vaisseau de 64 canons.

Coupée de la route de retour à Brest, la Félicité doit se rendre ou se battre. La nuit tombe. la Tamise fonce et lâche une bordée de canons et de mousquets…

Comic a fait bastinguer, c'est à dire qu'il a fait disposer de grosses toiles matelassées anti mitraille au-dessus du pont. Il riposte, mais, surgissant de la nuit l'Alcide lui envoie une terrible bordée du côté opposé.

Le Rumbler, le plus petit navire ennemi en profite pour attaquer lui aussi... Mais Cornic le laissant approcher, le foudroie avec ses canons et le met en perdition.

Voyant qu'il va couler, l'Alcide se porte à son secours laissant la Félicité et la Tamise aux prises dans un furieux combat bord à bord... La mâture, les voiles sont hachées, mais la Tamise a le dessous et va succomber quand malheureusement l'Alcide qui a recueilli les naufragés du Rumbler qui vient de couler, revient à la charge.

Comic manœuvre habilement pour s'approcher d'une zone de récifs qu'il connaît par cœur et le gros Alcide n'ose le suivre de peur de déchirer sa coque.

La flotte anglaise se retire dans un piteux état, la Tamise faisant eau arrive de justesse dans le port de Plymouth.

Le 25 juin, dans le soleil levant, la Félicité très éprouvée, mâture en désordre, coque trouée rentre lentement à Brest sous les acclamations de la foule tenue au courant de la bataille.

 

 

 

 Si le peuple est enthousiaste, les officiers du Grand Corps font triste mine car jusque là ils n'ont pas beaucoup brillé dans la guerre. Ils dénigrent les succès de Cornic. Le roi qui n'ose se fâcher avec eux donne une pension de 500 livres au vaillant marin mais point de grade.. .

A partir de cette épopée, la carrière de Cornic est de plus en plus brillante : capture de navires, victoires navales se succèdent attisant la jalousie et même la haine des officiers du Grand Corps, mais accroissant sa popularité à Morlaix sa ville natale où son souvenir est encore vivant de nos jours. On l'a appelé, et on l'appelle encore « l'Officier Bleu ».

En 1764 on le nomma malgré tout lieutenant de vaisseau, et pour le soustraire aux tracasseries ou provocations de ses nobles collègues, il est envoyé à Bordeaux, où la guerre finie, il surveille la construction de navires, dresse des plans d'installations portuaires.

Pendant son séjour à Bordeaux il rencontre une jeune fille de la haute bourgeoisie bordelaise, Mademoiselle de Kater fille d'un riche négociant armateur d'origine hollandaise naturalisé français et bourgeois de la ville de Bordeaux. Lui-même est proclamé bourgeois de la ville... Il épouse cette jeune fille le 19 août 1764. Malheureusement la jeune épouse meurt dix jours après son mariage !

Mais à 33 ans, en pleines forces, il domine son chagrin et se lance dans des opérations maritimes, coloniales et cartographiques.

En 1766 il achète une belle maison bourgeoise à Isle Saint-Georges au bord de la Garonne près du Rabey,  une demeure du XVII-XVIIIème siècle nommée Montigny du nom de ses anciens propriétaires fondateurs.
Il faut avoir présent à l'esprit que la Garonne, n'étant pas encore barrée par le Pont de Pierre de Bordeaux, permettait aux navires de remonter aussi loin que la marée montait On peut donc imaginer qu'il était possible à notre marin de mettre son bâtiment au mouillage devant chez lui.

Dans l'acte notarié d'achat de cette maison il est qualifié de Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis, Capitaine des Vaisseaux du Roy.

Il a été rapporté par tradition orale que lorsqu'il séjournait à Montigny et hissait son pavillon personnel, les bateaux passant en Garonne lui devait le salut. 

Désormais il partage son temps entre l'Isle Saint-Georges et Morlaix.

En 1770, au moment de la grande inondation, il se trouve à Cambes en compagnie de l'abbé Pierre Laville, curé de l'Isle. Ce dernier, dans la relation du débordement, écrit : 

« … il passa la rivière pour donner du pain et du secours à tous les habitants de notre ilsle, il en tira plusieurs de leur maison malgré le grand courant des eaux qui coupèrent les câbles des navires à Bordeaux ... » 

Cette attitude courageuse et décidée, bien dans son tempérament de combattant, 1ui valut un surcroît de popularité et de gloire comme on peut en juger par le texte ci-dessous écrit plus de soixante ans après : 

Extrait de «La Morale en Action », manuel scolaire des élèves des écoles militaires sous le titre de Triomphe de la Charité et de la Modestie. 

«... De Graincourt, dans «Histoire des Hommes Illustres de la Marine Française» rapporte un fait bien honorable à de Cornick.

La Garonne étant débordée, les matelots les plus hardis n'osaient s'exposer à la violence du courant qui semblait devoir tout emporter. M. de Cornick fut réduit à forcer, le pistolet à la main, quatre des plus vigoureux d'entre ces matelots à monter avec lui dans un canot qu'il tenait près de la maison qu'il habitait aux environs de Bordeaux.
Avec ce canot il alla successivement dans toutes les maisons de l'Isle Saint Georges d'où il retira les habitants à demi noyés et mourants de frayeur.
Il transporta en terre ferme plus de six cent personnes de tout sexe et de tout âge, et ne cessa pendant trois jours de passer et repasser la rivière pour sauver les effets de ceux qu'il avait mis en sûreté, et pour leur apporter des subsistances.
Quoique M de Cornick ne fut pas très riche, qu’il fit par cet accident une perte considérable, il nourrit à ses frais pendant plusieurs jours les malheureux qu'il avait sauvés.
Le danger passé, M de Cornick se retira chez lui et
s 'y tint constamment renfermé, se refusant aux applaudissements et aux remerciements de la ville de Bordeaux... » 

Ce texte est directement inspiré de l'article paru dans le «Dictionnaire de biographie bretonne» de P. Levot, texte rédigé par Charles Alexandre, secrétaire de Lamartine qui succéda à Cornic dans le manoir de Morlaix. 

Ce récit, écrit par l'auteur afin de susciter des sentiments courageux chez les élèves­ des écoles militaires, est d'un style épique qui prend peut-être quelques libertés avec la vérité historique. Si, d'après l'abbé Baurein, il y avait environ 620 habitants à l'Isle, tous n'ont pas été retirés de leur maison, puisque le curé Laville dit que Cornic leur porta du pain. Cependant son attitude courageuse et charitable valut une grande popularité à notre héros à qui les notables adressèrent de nombreuses lettres de félicitations.

 En décembre 1778, écoeuré par l'attitude de la Marine à son égard, Cornic donne sa démission et prend sa retraite à l'âge de 47 ans

 Malgré un bilan de carrière impressionnant : cinquante convois de bateaux escortés sans pertes, capture de plus de vingt bâtiments ennemis, délivrance de plus de mille marins français prisonniers dans les navires anglais, on le nomme honteusement capitaine de vaisseaux avec une pension de 1200 livres...

Il avait eu le tort de faire mieux que les beaux officiers bien nés ! 

Sa notoriété était grande à Bordeaux en 1786, comme on peut en juger par quelques extraits d'une lettre que lui adressa le Président de la Chambre de Commerce de Guienne : 

« A Monsieur de Cornic à l'Isle Saint Georges, 

Lorsque après d'éclatants services vous êtes venu fixer votre retraite tout près de chez nous, vous nous avez offert un nouvel exemple de ceux que la patrie peut encore attendre de l’homme de mérite dans son repos.
On dit même que vous venez d'acquérir un droit de plus à la reconnaissance de nos concitoyens en concevant le plan d'un bassin à carène pour notre port, établissement dont la nécessité devient de jour en jour plus pressante…
»

(Il s'agit d'un projet de translation de pontons à carène que les jurats de Bordeaux veulent installer à Bègles. La Chambre de Commerce y est opposée et elle demande à Cornic de l'appuyer, étant donné son autorité en la matière. Les pontons à carène permettaient de soulever les navires à l'aide de caissons flottants pour la remise en état des coques.) 

          « … Mais à quels hommes recourir, assez habiles et d'un talent assez généralement reconnu par nos concitoyens pour prononcer dans ce conflit de leurs opinions ?
A vous, Monsieur, que MM. les jurats et nous conjurons de venir présider à cette vérification instante à laquelle assisteront deux de ces magistrats, les capitaines du port, les gens de l'art attachés au service de la ville et deux d'entre nous
… »

 Cornic salue avec enthousiasme la Révolution qui reconnaît enfin ses mérites. Il est nommé colonel général de l'artillerie de la ville de Bordeaux et capitaine des vaisseaux de la République.

 En 1792, à 61 ans, il vend Montigny à Mme Couderc et achète un manoir près de Morlaix, sur la rade pour y finir sa vie près de sa famille.                                      .

 Mais il n'a pas renoncé à toute activité, bien au contraire. Dans les registres de l'administration municipale de Bordeaux, on peut lire ceci :

«- Nomination d'une commission composée de MM. Cornic, capitaine de Vaisseau ;. Latus et Guibert, constructeurs ; Bonfin, Laval et Laroque ingénieurs ; Lacoste, dragueur ; les trois officiers du port, afin d'opérer le relèvement du navire la Ville-de-Port-au-Prince échoué devant le quai de Bacalan, et dont le renflouage présente de grandes difficultés. ... »

Sur cette photo ancienne de Morlais : le buste de Cornic
Aujourd'hui, ce buste de Cornic a été déplacé : il se situe face au bassin.

De retour à Morlaix, Cornic dépense une activité sans relâche pour développer, avec ses propres deniers, le balisage de la baie, en dessinant des cartes, en faisant construire des amers, une tourelle "refuge" et de nombreuses balises et organiser le sauvetage en mer. Découragé par le manque d'aide et par les injustices dont il est victime, irrité par les privilèges qui accordent les grades suivant la naissance et non le mérite, il écrit en 1789 : « Je suis un ami de la Révolution ».

Il meurt le 12 septembre 1809 à 78 ans après avoir eu l'honneur et la consolation d'être très populaire, non seulement dans sa ville natale de Morlaix, mais aussi à Bordeaux, et ... à l'Isle Saint-Georges!

Morlaix se souvient toujours de « l'Officier Bleu ». Sur la place Cornic, son buste est tourné vers le large et une partie du musée de la ville lui est réservée...

Remonter Cornic La Félicité