Le Tresson, pêche à l'alose |
Le tresson est un grand filet barrant aux trois-quarts la Garonne, on l'appelait ainsi, paraît-il, parce qu'il fallait treize hommes pour le tirer. Le filet chargé sur une grosse barque à rames était remonté contre le courant, montant ou descendant, par une équipe d'hommes le halant. Puis, une extrémité étant retenue à terre, il était déployé en travers du fleuve... Le bateau d'un bout, les hommes de l'autre, ralentissaient la marche de ce filet, qui, entraîné par le courant formait peu à peu une poche. | |
Insensiblement le bateau
se rapprochait de la terre, et en fin de dérive, les
deux extrémités du filet étaient jointes à l'endroit
choisi : une plage artificielle de gravier. (Il y avait trois graviers à l'Isle : l'un au Brésil, un autre au bout du chemin Pelletan et le dernier près de Boutric) Assis sur le gravier - certains dans l'eau - les pêcheurs répartis en deux groupes halaient en cadence les deux bouts du tresson. |
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Dans les premiers mètres du filet quelques coulacs (aloses ou "gattes") pris par leurs ouïes étaient jetés dans de grands paniers d'osier appelés " manes ". Mais c'est dans le fond du filet, dans la poche formée que l'on récoltait le gros de la pêche. D'avance on voyait l'eau agitée par grouillement de bonne augure. |
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Parfois, chose attendue
comme une bénédiction, un énorme poisson, tel un
requin, frappait rageusement l'eau de sa queue. C'était
le "créac " (esturgeon). Afin de ne pas
risquer de le voir s'enfuir, un homme, dans l'eau
jusqu'à la taille, allait l'assommer d'un coup de barre.
Si c'était une femelle, la joie était à son comble,
car c'est avec ses ufs que l'on confectionne le
caviar. Elle valait plus d'argent que tout le reste de la
pêche à elle seule. Car il faut dire que chaque homme recevait une part en argent du produit de la vente du poisson. Jetés en l'air, les aloses et les gats tombaient comme grêle dans les manes que deux hommes emportaient ensuite à l'aide d'une barre de bois passée dans les anses. Avant la dernière guerre, il est arrivé que la quantité de gats pêchés soit telle qu'il fallait les rejeter à l'eau, car même en les donnant on ne trouvait pas preneur.... |
Aujourd'hui les choses ont bien
changé, les aloses se font rares et les créacs sont en voie de
disparition. Un organisme (le CEMAGREF
) avec l'appui des pêcheurs sensibilisés à
ce problème, tente de redonner vie à cette espèce.
Chaque dimanche de printemps où le tresson pêchait, quantité de gens du village et d'ailleurs venaient assister à ce beau spectacle. C'était une bonne sortie où les odeurs fortes du fleuve et du poisson s'alliaient aux plaisanteries et aux quolibets des pêcheurs.
Ceux-ci, les "tressonnaires" étaient de drôles d'hommes recrutés pour la saison sur les quais de Bordeaux : anciens prisonniers de droit commun, dockers ou marins épisodiques, qui avaient en commun un goût immodéré pour le vin rouge et les bagarres.
Les gendarmes venaient souvent les voir dans la grange où ils dormaient à la paille. Ces gens qui faisaient un peu peur à la population, se voyant observés comme des bêtes curieuses, jouaient leur rôle de durs en exagérant leurs propos et leurs gestes. Il fallait à leur patron beaucoup d'autorité pour se faire obéir de son équipe.
Pourtant, certains de ces hommes sous leur apparence fruste conservaient une âme naïve...
Ces individus qui effrayaient les bonnes gens tout en les fascinant, qui se battaient au couteau les soirs de beuverie, un jour des Rameaux, partirent en troupe en chantant pour aller à la messe portant un grand rameau fait d'un laurier garni de sucreries...
Vers les années 1930, on tourna un film sur les bords de la Garonne : Les Bateliers de la Volga. Les tressonnaïres, convenablement vêtus de haillons, figurèrent les fameux bateliers qui chantaient une lente et nostalgique complainte en tirant dans la vase et les roseaux un lourd bateau
" Ho - ho hisse ---- ho ! "
Il y eut beaucoup de curieux pour cet événement qui resta longtemps dans la mémoire des contemporains !